Le référencement de fonds étiquetés finance durable va croissant dans les contrats. Mais les écueils de ce marché sont nombreux. Etat des lieux et points de vue de professionnels.
Force est de constater que l’assurance-vie – premier placement financier des Français au regard des encours gérés (1 895 milliards d’euros à fin septembre 2023) – est venue sur le tard à l’épargne responsable. A quelques exceptions près, notamment du côté de certaines mutuelles d’assurances (Groupama, Macif, Maif, etc.) ou compagnies traditionnelles (Generali), les assureurs avaient plutôt fait preuve de suivisme sur ce terrain. Et ce jusqu’à la loi Pacte de 2019, qui aura donné un premier coup d’accélérateur au marché, en imposant la présence d’unités de compte (UC) labellisées dans les contrats.
Au vu des statistiques publiées par France assureurs, la mayonnaise est en train de prendre. De 6 milliards d’euros fin 2018, les encours des UC « vertes » investies en assurance-vie étaient passés à 25 milliards fin 2019, puis 93 milliards fin 2020 pour atteindre 128 milliards fin 2021 (un quart du marché des UC). Et, sauf surprise, les prochaines données communiquées par les instances de la profession vont faire état d’un nouveau bond en avant. « Ce n’est pas parce que c’est une obligation », mais « un besoin sociétal », déclarait, en mars 2022, Florence Lustman, présidente de France assureurs, évoquant « une demande des assurés en recherche de sens pour leur épargne ». Ajoutons que l’offre s’est aussi mise au diapason de cette nouvelle donne. Le volume de produits d’assurance-vie écoresponsables dits ESG, c’est-à-dire prenant en compte des critères extrafinanciers environnementaux, sociaux et de gouvernance, a en effet connu une croissance exponentielle ces deux dernières années.
Reste à prendre du recul quant aux communications dithyrambiques des établissements financiers sur le sujet, qui ne sont pas sans inquiéter les Autorités de tutelle sur les risques d’écoblanchiment. Ainsi, fin 2022, l’ACPR avait émis une recommandation sur « la promotion de caractéristiques extra-financières » dans les publicités sur l’assurance-vie, notant que ces dernières pouvaient induire en erreur les épargnants sur la réalité des engagements extra-financiers allégués. Précisément, les assureurs ne doivent pas « laisser penser que l’ensemble du contrat intègre des caractéristiques extra-financières lorsque seuls certains supports sont concernés… ». Et le gendarme du marché d’en appeler à la vigilance des compagnies sur leur communication. Ce n’est pas tout, puisque de nouvelles mesures sont contenues dans la loi industrie verte, votée en octobre dernier, qui va renforcer les obligations des assureurs quant au référencement des fonds.
Ce décor posé, pour y voir clair et marier efficacement l’assurance-vie et la finance durable, il est sans doute temps de mettre à plat l’ensemble des données.
Une réglementation plus exigeante
Partons de la loi, donc du Code des assurances. Que dit-il ? Depuis le 1er janvier 2022, tout contrat multisupport doit inclure au moins une unité de compte labellisée ISR, une autre portant le label GreenFin, et une troisième du sigle Finansol (article L. 131-1-2). Notons que de 2020 à 2022, cette obligation ne portait que sur un des trois fonds.
Loi oblige, tout assureur doit aussi indiquer le pourcentage d’unités de compte labellisées présentes dans le contrat proposé, et ce avant sa souscription par l’épargnant. Tout comme proposer un résumé de sa politique d’investissement responsable et fournir un compte-rendu annuel spécifiant la part du fonds en euros investie dans des fonds responsables et solidaires (article L. 132-22 alinéa 9 du Code des assurances).
Toutefois, cet état des lieux juridique est toutefois réaménagé par la loi sur l’industrie verte, dont certaines dispositions concernent au premier chef les assureurs-vie. Sera notamment instaurée courant 2024 une « obligation de référencement générale pour les unités de compte ayant obtenu les labels reconnus par l’Etat, satisfaisant aux objectifs de transition écologique ou d’investissement socialement responsable ». Ce qui va modifier l’article 132-1-2 précité. Une autre disposition vise à donner un accès plus facile aux actifs non cotés pour « contribuer au financement de l’industrie verte ». En pratique, l’assureur devra obligatoirement référencer dans tout contrat des allocations d’actifs profilés, qui seront réglementairement définis, avec probablement une part minimale d’UC investies en actifs non cotés et finançant les PME. Une disposition qui devrait être étendue au plan d’épargne-retraite individuel, donc les assureurs pilotent la gestion (sauf exception du PER adossé à un compte-titres).
Règlement européen et labels:un univers complexe
Nul ne l’ignore, les labels sont le coeur du sujet, à l’instar des labels bio dans l’alimentaire. Reste à savoir ce qu’ils recouvrent vraiment.
Le plus répandu est le label ISR (investissement socialement responsable). Soumis à la critique depuis sa création en 2016, jugé déceptif, il vient d’être refondu après deux ans de chantier, pour une mise en application à compter de mars 2024. Principal changement : les fonds utilisant le label ISR français ne pourront plus investir dans des entreprises impliquées dans de nouveaux projets liés à l’exploration, l’exploitation et le raffinage de combustibles fossiles (comme TotalEnergies, Neste, Eni, Repsol, Galp Energia, BP, etc.). « Le nouveau label ISR va donner plus de crédibilité au sujet de finance verte, confie à couvert l’un des membres de son comité de pilotage. Les mailles du filet vont se resserrer, des fonds vont perdre le label, qui sera plus difficile à obtenir, et par ricochet l’offre disponible dans les assurances-vie. » Décryptage : au 31 décembre 2022, on comptait mille cent-trente-quatre fonds labellisés ISR pour cent-quatre-vingt-quinze sociétés de gestion concernées et un encours de 753 milliards d’euros. D’après Morningstar, près de la moitié (45 %) des fonds ont une certaine exposition au secteur de l’énergie traditionnelle, pour un total d’environ 7 milliards d’euros d’actifs. Une entreprise comme TotalEnergies est actuellement détenue par cent-soixante-et-un fonds labellisés ISR pour une valeur totale d’environ 2,4 milliards d’euros. CQFD.
Les labels GreenFin – une centaine de fonds réunissant des opérations financières en faveur de la transition énergétique et écologique, un label attribué par EY France, Novethic, et l’Afnor – et Finansol – cent-quatre-vingt produits regroupant les placements dont l’engagement est orienté sur des critères sociaux – complètent le tableau. A noter que le label Finansol est attribué par l’association FAIR, qui compte cent-trente-deux membres, dont cinq assureurs (Abeilles assurances, AG2R La Mondiale, Generali Vie, Macif, Maif).
Il faut ensuite élargir son angle de vue au niveau européen. Là, pour l’épargnant mais aussi les conseillers financiers, le tableau se complexifie rapidement. L’acronyme SFDR et la taxonomie européenne sont aujourd’hui les piliers de l’arsenal réglementaire visant à encadrer la finance durable dans l’Union européenne, pour éviter le Greenwashing. Le règlement européen SFDR (Sustainable Finance Disclosure Regulation) date déjà de novembre 2019, imposant des obligations de transparence en matière de durabilité aux banques, assureurs, sociétés de gestion et conseillers financiers. La taxonomie européenne, qui classe les activités économiques selon leur impact sur l’environnement, mise en œuvre depuis 2022, servira pour sa part de socle aux futures réglementations et au label vert européen. Dont acte.
Quid de l’offre ?
Sans surprise, sous la pression de cette réglementation foisonnante et d’une opinion publique acquise à la thématique verte (au sens large), l’offre des compagnies a pris de l’épaisseur dans les contrats depuis deux à trois ans. Les grosses enseignes bancaires se sont notamment emparées du sujet, de la Banque postale à la Société générale (nouvellement appelée SG, depuis la fusion avec le Crédit du Nord). Exemple : chez cette dernière, l’offre de fonds ISR est désormais présente dans tous les contrats d’assurance-vie, y compris ceux destinés au grand public.
Autre exemple : le Crédit mutuel Arkéa propose de la gestion pilotée thématique très poussée dans ses offres et ne référence plus que des fonds à forte consonance ESG. Idem chez Axa, via l’association d’épargnants Agipi.
Des assureurs vont même plus loin en déployant des gammes ISR complètes, comme Aviva France avec l’assurance-vie Aviva Vie Solutions Durables. Sans conteste, les contrats diffusés par les CGP, qui reposent sur une offre large de plusieurs centaines d’UC (fonds actions, mais aussi ETF, fonds immobiliers, Private Equity) sont parmi les mieux achalandés en solutions de finance durable. Mais sur le Net, l’offre est aussi en pleine explosion. On n’y compte plus les nouvelles adresses de courtiers promouvant des offres ISR à bas coût. Parfois chez des enseignes à forte notoriété, comme BoursoBank (ex-Boursorama Banque), parfois chez de jeunes pousses, comme Goodvest ou Active Seed.
Du reste, le filon a gagné le terrain du plan d’épargne-retraite (PER) dans sa version individuelle. Illustration : le courtier en ligne Placement-direct (qui appartient à Swiss Life) vient de lancer un PER exclusivement ISR, hors fonds en euros, assuré par l’UMR.
Dans le discours, nombre de professionnels indiquent toutefois qu’il est difficile de valoriser les thématiques durables, faute d’afficher en regard des performances convaincantes, notamment sur les deux dernières années. Les fonds responsables sont-ils plus impactés que le reste du marché ? Non, un consensus se dégageant même pour conclure qu’il est possible d’obtenir davantage de performances financières avec les fonds ISR sur la durée. Mais tous les pros de rappeler qu’un produit ISR n’est pas synonyme de garantie en capital, des pertes étant toujours possibles. La recette tiendrait davantage de s’imprégner des reconnaissances attribuées à certaines sociétés de gestion pour leurs pratiques sur ce marché. A l’instar des récompenses attribuées par Investissement Conseils lors de la quatrième édition des Trophées de la finance responsable (cf. Investissement Conseils n° 866, novembre 2023). Reste un problème clé dans le mariage finance durable-assurance vie:le fonds en euros. Difficile d’y voir clair, tant la communication sur les investissements réalisés par les assureurs est rare. Impossible de dire, sauf exception, si tel fonds en euros est géré avec des fonds répondant aux critères ESG. « C’est une boîte noire !»fustigent de nombreux CGP. Pourtant, conformément à la loi Pacte votée en 2019, tout assureur doit expliquer sa politique d’intégration des impacts environnementaux et sociaux dans la gestion de son fonds en euros. On en est encore très loin.
Quelques acteurs mutualistes ont toutefois pris les devants en faveur d’un fonds en euros plus responsable. C’est le cas de la Maif, dont les fonds en euros ont obtenu le label Finansol. Ou de Suravenir, qui affirme appliquer à la gestion de son actif en euros « les principes de finance durable ». Globalement, les assureurs sont timides sur ces questions, la priorité étant de nourrir leurs actifs en euros de titres obligataires rentables pour nourrir les rendements futurs. Cet écueil vient fortement relativiser le développement de la finance durable au sein de l’assurance-vie. Rappelons que le fonds en euros garanti pèse peu ou prou 75 % des encours de ce placement.
Avec un épargnant au profil prudent, réalisant une allocation de 70 % de fonds en euros et 30 % d’UC, la possibilité d’investir sur des fonds labellisés concernera in fine moins d’un tiers du capital investi. A noter que la solution des fonds croissance, à mi-chemin entre le fonds en euros classique et les UC, est une autre piste déployée par certaines compagnies pour promouvoir la finance durable. A l’instar de Generali, qui propose le fonds Générations Croiss@nce Durable. Ce dernier garantit le capital à hauteur de 80 % au terme (huit à trente ans), tout en intégrant des critères ESG dans sa gestion. Exclusivement distribué par les courtiers en ligne, il vient d’obtenir le label Finansol, car incluant dans sa gestion les fonds Generali Investissement à impact et Mirova Solidaire.
Les CGP au milieu du gué
Au bout de la chaîne, comment les épargnants et leurs intermédiaires indépendants, les CGP, peuvent-ils appréhender ce marché mouvant ? Depuis une année, tout conseiller financier doit s’enquérir des attentes en termes de durabilité de son client avant de lui proposer un quelconque investissement.
En somme, il lui tend la perche sur les sujets de finance durable. Outre un profil de risque financier, le CGP doit donc désormais s’atteler à définir le profil extra-financier de son client.
Mais comment transformer l’essai ? En se formant davantage, probablement, pour parer à toutes les interrogations (légitimes) des épargnants. Citons le certificat finance durable de l’AMF, renforcé depuis mars 2021. Et après ? Les avis divergent sur les solutions (cf.nos trois avis de CGP).
Pour l’heure, peu disent constater une forte demande (au-delà des intentions) sur les fonds labellisés notamment. Ni constater chez les assureurs la volonté de les promouvoir. Le nouveau coup d’accélérateur de la réglementation y changera-t-il quelque chose ? A voir.
Du reste, si la finance durable devient la norme des fonds proposés, le tri en sera-t-il plus facile ? Bien des professionnels s’inquiètent aussi des conséquences quant à leur devoir de conseil, qui selon la loi sur l’industrie verte, sera étendu tout au long de la vie du contrat d’assurance-vie. Ils voient aussi poindre des risques, récemment soulignés par Olivier Laffitte, avocat à la Cour et président de l’Observatoire du Droit de la Finance Durable, qui écrivait dans une tribune, en juin dernier, que « derrière des slogans attractifs, le constat est sans appel : la plupart, pour ne pas dire la quasi-totalité des assurances-vie écoresponsables sont loin de répondre aux attentes et exigences exprimées par leurs souscripteurs… Les promesses des assureurs en matière d’assurance-vie ESG ne sont en effet pas de simples “paroles en l’air”, mais constituent vis-à-vis de leurs clients-assurés, de véritables engagements juridiques, dont le non-respect entraîne leur responsabilité contractuelle ». Cette problématique juridique est, pour l’heure, écartée par les compagnies, qui s’en remettent au respect de la recommandation formulée par l’ACPR il y a quelques mois, appelant les assureurs à la vigilance dans leur communication sur les caractéristiques extra-financières de leurs contrats. De futurs déboires judiciaires en vue ? « Tout souscripteur d’un contrat d’assurance-vie dont les caractéristiques ESG annoncées ne correspondent pas in fine à la réalité, pourra saisir les tribunaux afin de faire condamner son assureur à l’indemniser de son préjudice extra-financier, poursuivait l’avocat. A cet égard, l’obligation légale pesant depuis 2023 sur les assureurs, de s’informer sur les préférences ESG des souscripteurs d’assurance-vie sera de nature à faciliter la démonstration de leur faute contractuelle. »
« Il faut aller voir les engagements et la cohérence des sociétés de gestion qui pilotent les fonds d’investissement »
Pascale Baussant, gérante de Baussant Conseil, membre du comité du label ISR, engage la profession des CGP à se former sur tous les aspects de la finance durable.
Investissement Conseils : L’offre de fonds durables est-elle aujourd’hui satisfaisante dans l’enveloppe assurance-vie ?
Pascale Baussant : Tout dépend de l’angle d’approche. Je préfère voir le verre à moitié plein et vous répondre que les choses tendent à s’améliorer pour les particuliers. Le législateur avec la loi Pacte a imposé la présence de fonds labellisés dans les contrats, et, il faut le reconnaître, les assureurs sont allés plus loin que cette obligation. Ils proposent maintenant de multiples unités de compte permettant de répondre aux premières demandes des clients. Les fonds d’investissements thématiques, par exemple sur l’eau, le bois, le climat ou l’emploi, sont utiles, car déchiffrables par l’épargnant. Il est intéressant de noter que les fonds actions ne sont plus la seule réponse disponible dans les contrats. On voit apparaître des nouveautés, par exemple un fonds sur les terres agricoles, un sur le recyclage urbain, etc. On constate aussi que certains assureurs sont plus engagés que d’autres, à l’image de Suravenir via sa marque Vie Plus, dont le contrat Vie Plus Impact ne comprend que des fonds article 8 et 9 et aucun article 6. D’autres assureurs vont moins vite, mais le sens de l’histoire les pousse à étoffer progressivement leur offre.
Quid des performances des fonds durables ?
C’est un écueil sur lequel bute le développement de ce marché. Les performances des fonds actions dits verts ont beaucoup souffert en 2022 et 2023, davantage que les marchés actions traditionnels. De quoi susciter une déception pour les épargnants. Mais il faut relativiser ce constat. Pour analyser les performances, il est nécessaire d’élargir le spectre de l’investissement responsable, en y intégrant les solutions du non-coté, les fonds d’infrastructure durable, de l’immobilier, etc. Et de le faire dans la durée. Le maître-mot reste la diversification de son investissement, en privilégiant l’investissement progressif sur les marchés actions pour lisser ses valeurs d’entrée. En somme, ce n’est pas parce qu’on cherche un investissement durable qu’on doit exclure les notions de profil d’épargne et de volatilité propres à la gestion patrimoniale.
Avec une offre foisonnante et une réglementation complexe, comment le CGP peut-il s’y retrouver ?
En se formant afin de maîtriser cette thématique du financement durable. J’invite vraiment les professionnels à passer la certification AMF Finance durable, qui est un socle solide pour s’y retrouver et répondre aux clients finaux. Avec son positionnement d’indépendant, qui donne une liberté et aussi une exigence, voire une sévérité, sur les offres existantes, le CGP a vraiment un rôle clé à jouer sur le terrain de la finance durable, notamment au travers de l’enveloppe assurance-vie qui est le placement adéquat pour investir dans la durée. Il doit aussi pouvoir aller au-delà de l’offre et des labels, pour se pencher sur les actions concrètes mises en place par les gestionnaires ou les assureurs. Il faut aller voir les engagements et la cohérence des sociétés de gestion qui pilotent les fonds d’investissement. On découvrira alors que, chaque année, certaines reversent, par exemple, les frais qui leur reviennent à des associations ou des ONG. Ce n’est pas le client qui paie, mais le gestionnaire qui réduit ses gains.
Cet engagement ne nuit pas à la performance du fonds, mais prouve l’engagement de la société de gestion. Vous avez aussi des fonds qui adhèrent à 1 % pour la Planète, en reversant des frais de gestion pour du mécénat.
« Globalement, il n’y a pas d’éveil écologique de la profession des CGP »
Maëlle Caravaca, conseil en gestion privée et en investissement responsable, pointe le manque d’incarnation de la finance durable chez les professionnels.
Investissement Conseils : Les assureurs-vie ont-ils modifié leur approche de la finance durable depuis la loi Pacte ?
Maëlle Caravaca : En façade oui, en profondeur non. On commence certes à voir apparaître des classifications, des mentions de label dans les listes de fonds, etc. Mais globalement, il n’y a pas une forte sensibilisation des assureurs auprès des distributeurs pour pousser ces fonds. On est plus dans l’application de la réglementation que dans la volonté de promouvoir la finance durable. Si certains assureurs mutualistes font davantage d’efforts sur ce terrain, les gros acteurs n’incarnent toujours pas des convictions environnementales et éthiques. L’enjeu n’est pas là pour ces compagnies aujourd’hui, elles ne jouent pas leur réputation auprès des CGP sur ce terrain.
Il semble pourtant que la finance durable soit devenue un standard des établissements financiers ?
C’est un vernis. Le jeu du marketing avec des appellations ambiguës brouille les cartes. On joue sur la sémantique. La course à la labellisation depuis quelques années masque un vrai risque d’écoblanchiment, dit Greenwashing. Dans l’univers des fonds responsables, moins d’un tiers a en réalité une vraie démarche volontariste de durabilité et d’éthique. Dans les faits, la pratique majoritaire du marché reste une approche best-in-class, sans exclusion de secteurs pourtant néfastes à l’environnement comme les énergies fossiles.
Les CGP se sont-ils emparés de cette thématique ?
Non, même si de plus en plus de professionnels s’y intéressent. Globalement, il n’y a pas d’éveil écologique de la profession. La finance durable et ses dérivatifs ne sont pas encore un sujet crucial pour les CGP. Il y a un besoin de formation, mais au-delà, c’est un changement de mentalité qui fera bouger les choses. Il faut questionner sa morale face aux choix d’investissement, ou pousser le client à le faire. Le questionnaire préalable, qui a introduit des points sur la durabilité, permet d’affiner la connaissance du client sur ce terrain.
Au-delà d’une recherche de performance et d’un indicateur de risque, il faut prendre en compte ses convictions et ses valeurs. Partant de là, le CGP doit vraiment écrémer le marché et incarner ce changement de paradigme.
« Nous sommes dans un marketing de l’offre où tout le monde est soudain vert »
Georges Nemes, président du groupe Patrimmofi, milite pour une approche plus pragmatique de la finance durable.
Investissement Conseils : La finance verte est désormais partout, y compris en assurance-vie. Pourquoi ?
Georges Nemes : Pour deux raisons. D’abord, la réglementation a tout enclenché. Pour y répondre, ainsi qu’aux multiples contraintes et injonctions, les professionnels de la finance ont accéléré la création de produits ad hoc dans les enveloppes financières, assurance-vie comprise désormais. Ensuite, l’engouement pour la finance verte s’explique par une hausse considérable de l’offre, rien d’autre. La lame de fond est venue des fabricants de produits financiers, qui ont peur de ne pas «en être»et non des clients. Nous sommes dans un marketing de l’offre où tout le monde est soudain « vert » et se donne ainsi bonne conscience. Il n’existe pas en réalité de demande démesurée pour ce type de fonds.
Ce marché de la finance verte ou durable est-il lisible ?
Non, il devient même de plus en plus compliqué alors qu’on devrait le simplifier. Pas un jour ne passe sans qu’une nouvelle règle, une nouvelle contrainte, une nouvelle norme ne vienne complexifier un peu plus ce secteur déjà nébuleux.
On attend maintenant une nouvelle version du label ISR au printemps prochain, plus contraignant car excluant notamment les entreprises impliquées dans l’exploitation de charbon ou d’hydrocarbures non conventionnels. Ce qui va poser des problèmes à bien des fonds qui incluaient des entreprises comme Total Energies pour assurer de la performance et réduire la volatilité des fonds. Vu de haut, la réglementation de la finance durable est illisible, y compris pour les professionnels. Aux trois labels responsables en France (ISR, GreenFin, Finansol), il faut du reste ajouter la couche européenne avec la réglementation SFDR qui classe les fonds enregistrés dans l’Union européenne en trois catégories, dont deux permettent d’identifier les placements responsables. Bref, c’est trop complexe !
Comment rendre la finance durable et l’assurance-vie compatibles ?
En ayant une approche, non pas administrative et réglementaire, mais concrète et pragmatique du sujet. Les épargnants sont certes sensibles à la thématique durable. Selon une étude du Forum de l’investissement responsable de septembre dernier, six épargnants sur dix jugent ces critères importants pour prendre leurs « décisions d’investissement ». Soit ! Dans les faits, sauf exception, aucun des épargnants que nous rencontrons chaque jour n’exprime une véritable attente dans ce domaine. La réglementation nous oblige à les « sonder » sur leurs appétences aux fonds durables, mais cela ne change rien à l’arrivée.
Les attentes des épargnants concernent toujours plus le risque pris et les performances du fonds que sa « vertitude ». Si on veut changer cette situation, il faut que l’ESG et tous ses dérivés deviennent une composante même du produit d’épargne, y compris en assurance-vie, et non plus une thématique d’investissement. Il faut surtout que l’épargnant puisse voir l’impact de son investissement. Un organisme extérieur devrait mesurer les impacts selon un processus d’évaluation dans la durée. L’impact n’est pas un objectif, mais une méthode, le « comment ». Pour éviter que l’engouement des fournisseurs de produits pour le vert et le durable ne soit que du Greenwashing et ne se transforme en « green krach », il faut arrêter le marketing et passer au concret.