Souvent perçue comme fastidieuse, la procédure réglementaire constitue l’apanage des obligations de conformité (1) incombant au cabinet de gestion de patrimoine, apparues avec les différents scandales financiers et les faillites de grandes entreprises qui en ont résulté.
Elles n’ont jamais cessé de se renforcer au fil du temps afin d’obliger les CGP à se conformer aux lois et réglementations qui régissent leurs différents statuts.
Si, aux yeux du professionnel, les procédures peuvent sembler comme une entrave à « commercer » librement auprès de sa clientèle, la réalité est que ces règles s’inscrivent dans une démarche globale beaucoup plus vertueuse qu’il n’y paraît. D’une part, ces normes de conformité permettent au dirigeant de mieux se structurer en lui permettant de réfléchir au bon fonctionnement de son cabinet, ainsi qu’à la meilleure façon de protéger ses clients, tout en répondant à ses propres obligations professionnelles. D’autre part, elles soignent son éthique professionnelle et ses règles de gouvernance en lui donnant une bonne image réputationnelle. Enfin, elles lui permettent aujourd’hui de faire progresser son activité vers une transition verte et responsable.
De fait, en ces temps de rapprochement capitalistique et de fusion entre sociétés, le respect ou non de ces règles de conformité a précisément une incidence sur la valorisation des actifs d’un cabinet. Cela étant dit, une procédure n’est jamais figée, mais doit évoluer en fonction des différents textes réglementaires qui la nourrissent. Elle doit être comprise, actualisée et personnalisée à la stratégie de distribution de l’entreprise. La sinuosité des normes réglementaires n’aidant pas, quelles sont les procédures dites « piliers » qui font l’objet d’une grande attention de la part de nos régulateurs et quelles sont les procédures indispensables au cabinet qui lui permettent de mieux se structurer ?
Les procédures « piliers » du cabinet
La procédure de lutte contre le blanchiment des capitaux et le financement du terrorisme (LCB-FT) doit être considérée comme la procédure « reine », tant les décisions de sanctions de nos régulateurs sont abondantes. Elle aborde divers sujets sensibles, tels que la corruption, la fraude fiscale, la lutte contre le terrorisme ou encore la cybercriminalité. La multiplicité de ces sujets fait qu’un conseiller doit suivre et analyser avec attention l’ensemble des rapports de nos autorités de contrôle et de Tracfin de façon à pouvoir régulièrement mettre à jour tout son dispositif de contrôle interne.
A cette occasion, nous pouvons constater une véritable évolution des contrôles de nos régulateurs puisque si dans les premiers temps, ces derniers pointaient du doigt le défaut de procédure LCB-FT, de plus en plus de décisions exhortent les cabinets à disposer d’une « procédure LCB-FT opérationnelle » (commission des sanctions de l’AMF, décision n° 6 du 25 mai 2022). Et c’est sans doute toute la difficulté du sujet puisque certains cabinets n’ont pas compris qu’ils doivent adapter leurs niveaux de mesure de vigilance à leur propre cartographie des risques. Or ces mêmes cabinets se « cachent » souvent derrière celle de leurs fournisseurs, dans l’espoir de faire accélérer l’enregistrement d’une souscription sans se soucier des règles de vigilance qu’ils se sont eux-mêmes fixées.
En termes d’importance vient ensuite la procédure de sélection de fournisseurs et de gouvernance produits, procédure littéralement dans l’œil du cyclone de l’Autorité des marchés financiers (AMF) et de l’Autorité de contrôle prudentiel et de résolution (ACPR) qui appréhendent le risque d’une mauvaise commercialisation d’un produit financier ou d’assurance. A ce jour, sans doute par manque de savoir-faire, ce travail de cohérence et d’adéquation aux cibles clientèles et au mode de distribution du cabinet n’est pas toujours effectué, alors que le dispositif est bien prévu dans la procédure-type proposée par les associations professionnelles. Dans sa conférence du 5 décembre 2022, l’ACPR a clairement tapé du poing sur la table en rappelant les principaux enjeux liés à la bonne intégration de la gouvernance produits et la nécessité de corriger les mauvaises pratiques qu’elle a pu déceler au cours de ses différentes enquêtes ou missions de contrôles. L’ACPR devrait prochainement inciter les concepteurs de produits à davantage de granularité de leurs marchés cibles de façon à répondre parfaitement aux besoins et caractéristiques des clients auxquels ils sont destinés. L’autorité de contrôle devrait également revoir la définition de la « notion d’adaptation trop restrictive » (2) de sorte que le plus grand nombre de produits d’assurance (créés avant l’entrée en vigueur de DDA) soient soumis à ces mêmes obligations. Le durcissement de ces règles devrait mécaniquement « redescendre » auprès de tous les distributeurs des produits concernés. Enfin, dans cette même catégorie, on peut citer « les yeux fermés » les procédures de prévention des conflits d’intérêts et des rémunérations. Alors que la Commission européenne revient sur la question de la suppression des rétrocessions dans le cadre de la révision des directives DDA et MIF2, nos régulateurs portent une attention particulière à ces deux procédures pour justifier la défense de ce modèle de rémunération. Là aussi, des évolutions notables sont attendues. La majorité des acteurs de la profession espèrent cependant que les autorités de contrôle sauront trouver la juste mesure en prenant en compte dans leur analyse les difficultés « terrains » rencontrées par les concepteurs de produits et leurs distributeurs dans la commercialisation de ces produits.
En attendant la parution d’une recommandation, le professionnel doit poursuivre son travail de classification de ce qui constitue (ou non) un cas de conflit d’intérêts et prendre toutes les dispositions nécessaires visant à l’endiguer, en commençant par la suppression de toutes rémunérations pouvant être analysées comme incitatives ou ayant un effet négatif sur la qualité du service fourni.
Les procédures structurantes du cabinet
Parmi les plus importantes, on retrouve la procédure du parcours client. Ce document doit décrire de manière très précise le « qui fait quoi », depuis la rencontre client jusqu’à la fin de la relation contractuelle : elle va désigner la personne habilitée à rencontrer le client et déterminer la chronologie des documents précontractuels et contractuels à remettre à l’investisseur. Les activités de conseiller en investissements financiers et d’intermédiaire en assurances devront être bien dissociées afin d’intégrer les spécificités qui découlent de leurs statuts respectifs au risque d’engager la responsabilité civile, pénale et/ou financière du cabinet.
La procédure RGPD (règlement général sur la protection des données) est également une procédure structurante, puisqu’elle conduit le cabinet à mener une réflexion sur la façon de collecter les données, de les transmettre à ses fournisseurs ou ses sous-traitants, de les archiver et de les détruire, tout en garantissant le secret professionnel et la confidentialité des informations transmises par le client. De la même manière, la procédure de traitement des réclamations (3) tient toute sa place puisqu’elle va dans le sens de la protection du consommateur. Elle doit obliger le professionnel à réfléchir à un traitement efficace, égal et harmonisé des réclamations reçues. Le dispositif retenu doit l’inciter à mettre en place des actions correctives dans l’hypothèse où la réclamation résulterait de dysfonctionnements répétés de son cabinet.
Enfin, on peut mentionner le plan de continuité d’activité comme procédure indispensable. Son élaboration passe inévitablement par un diagnostic préalable de toutes les menaces aléatoires pouvant surgir à chaque instant de la vie de l’entreprise. Elle doit ensuite mettre en évidence leurs probabilités de survenance. Cette procédure revient en quelque sorte à établir un audit de bon fonctionnement de l’entreprise, associé à un testament du dirigeant qui doit envisager le pire pour protéger les risques de dévalorisation financière de sa société et de déshérence de ses clients.
On peut donc facilement en conclure que, plus qu’un frein, les procédures réglementaires constituent ensemble un atout majeur dans le fonctionnement de l’entreprise.
Cependant, chacune d’elles doit être mûrement réfléchie afin de l’intégrer de manière naturelle dans le processus de commercialisation du cabinet dans l’objectif de lui permettre d’avoir une longueur d’avance sur la concurrence.
Gianni Romeo,
directeur juridique et réglementaire de Primonial Ingénierie et Développement
1. Ou Compliance pour les anglicistes.
2. Directive sur la distribution d’assurances, article 1er du règlement délégué (UE) n° 2017/2358.
3. Recommandation ACPR 2022-R-01 du 9 mai 2022.