Par Henri Leyrat, animateur scientifique à l’Aurep, docteur en Droit privé, chercheur associé au CMH (EA 4232), UCA
Le don manuel est une donation « qui se réalise de la main à la main »(1). Originellement, seuls les biens mobiliers corporels pouvaient faire l’objet d’un don manuel. Pour autant, l’émergence de la dématérialisation des biens a rendu possible l’existence de don manuel par la remise d’un chèque ou d’un virement de compte à compte.
Selon l’article 931 du Code civil, « Tous actes portant donation entre vifs seront passés devant notaires dans la forme ordinaire des contrats ; et il en restera minute, sous peine de nullité »(2). Par conséquent, lorsqu’un acte est dressé pour la donation, il ne peut qu’être authentique. Il est donc possible de consentir des donations non notariées si aucun acte n’est établi, ce qui concerne les dons manuels, les donations indirectes et les donations déguisées.
Condition de fond des dons manuelsLe don manuel obéit aux conditions de fond des donations (art. 894 C. civ.). Il implique donc un dépouillement actuel et irrévocable du donateur en faveur d’un donataire qui l’accepte. Ainsi le don manuel suppose-t-il l’existence d’une intention libérale émanant du donateur. Ce ne sera pas le cas en présence de l’exécution d’une obligation légale ou d’une obligation naturelle(3). Il implique également le consentement du donataire, mais celui-ci peut, faute d’acte, n’être que tacite(4).
Au-delà des conditions de validité propres à toute donation, le don manuel repose sur l’existence d’une tradition réelle, c’est-à-dire la remise matérielle de la chose donnée. Cette exigence fait du don manuel un contrat réel, c’est-à-dire un contrat se formant par cette remise matérielle et non par le simple accord de volonté des parties. Pour que la donation soit parfaite, il convient également que le dessaisissement du donateur soit actuel et irrévocable.
Partant, il est indispensable que la remise de la chose, même si elle n’intervient pas lors de l’accord de volontés, ait lieu avant le décès du donateur(5). En effet, le don manuel est valable s’il est accepté du vivant du donateur ou avant la survenance de son incapacité(6). En présence d’une véritable intention libérale, la jurisprudence avait admis l’existence d’un don manuel malgré l’existence d’une procuration post mortem sur les comptes du défunt (Cass. 1re civ, 14 mai 1996, n° 93-20.972).
Toutefois, cette dernière décision ne semble plus d’actualité, la Cour de cassation ayant par la suite refusé de qualifier un don manuel en présence d’un virement sur le compte d’une personne sur lequel le disposant avait une procuration (Cass. 1re civ., 14 décembre 2004, n° 03-18.413).
Objet des dons manuelsEn conséquence, un don manuel ne pourrait porter que sur un meuble corporel (bijoux, meubles meublants, et bien sûr de l’argent liquide), auquel cas son acceptation est formée par « la simple réception par le donataire du meublé donné »(7).
La tradition réelle peut prendre la forme de la remise d’un bien en main propre. Elle peut aussi se faire par l’intermédiaire d’un tiers notamment dans le cas d’un virement de compte à compte. Il s’agirait alors d’un « quasi-don manuel », c’est-à-dire « un don manuel véhiculé au moyen d’une quasi-tradition portant sur des biens scripturaux – monnaie scripturale ou titres de valeurs mobilières dématérialisés – et s’opérant par chèque ou par virement de compte à compte »(8).
Le don manuel peut ainsi se réaliser par chèque, auquel cas il est indispensable que deux conditions soient réunies :
- le chèque est remis matériellement au bénéficiaire du vivant du donateur (Cass. 1re civ., 3 avril 2002, n° 99-20.527) ;
- le compte est provisionné du montant donné avant le décès du donateur (Cass. 1re civ., 5 février 2002, Bull. Civ. I, n° 39).
Plus fréquemment, le don manuel s’opère par virement de compte à compte. Ce quasi-don manuel est réalisé par l’entremise d’un intermédiaire(9). Il s’agit alors d’un virement d’une somme d’argent ou de valeurs mobilières. Pour la Cour de cassation, le don manuel est formé dès lors que la monnaie scripturale ou les valeurs mobilières sont inscrites au compte du donataire du vivant du donateur (Cass. 1re civ., 27 octobre 1993, n° 91-13.946).
Enfin, notons que les biens meubles incorporels sont insusceptibles de tradition réelle. Il en va ainsi d’un fonds de commerce ou de parts sociales. En revanche, les actions, même non cotées sont susceptibles de tradition réelle puisqu’elles peuvent faire l’objet d’un virement de compte à compte.
Recours aux pactes adjointsPour autant, afin de déterminer les modalités d’exécution d’un don manuel, les parties ont parfois recours au pacte adjoint. Il s’agit d’une convention sous seing privé établie postérieurement au don manuel dont la validité est reconnue en jurisprudence depuis le XIXe siècle (Cass. 1re civ., 11 août 1880, S. 1881, 1, p. 15).
Encore faut-il pour être valable que le pacte adjoint soit conforme au principe d’irrévocabilité spéciale des donations, à défaut de quoi le pacte serait nul, ainsi que le don manuel qu’il est censé conforter(10). Ces conventions présentent des intérêts évidents dans l’aménagement du don manuel, mais elles comportent aussi des limites, lesquelles impliquent un grand nombre de précautions rédactionnelles.
Formalisme des pactes adjointsSur le plan rédactionnel, le pacte adjoint implique de grandes précautions car il ne doit pas constituer la donation sous peine de nullité du pacte et même du don(11). Pour ce faire, le pacte adjoint doit se contenter de relater le don manuel consenti nécessairement antérieurement au pacte. En outre, on conseillera une rédaction du pacte au passé composé ou à l’imparfait pour éviter tout risque de requalification, le pacte adjoint étant un acte déclaratif en ce qu’il constate l’existence d’un don manuel antérieur(12). Enfin, le pacte adjoint sera rédigé en autant d’originaux que de parties et fera l’objet d’un enregistrement afin de lui conférer date certaine.
Intérêts du pacte adjoint à un don manuelDualité d’intérêts
Le pacte adjoint permet de fixer les modalités du don manuel quant à son objet, mais aussi quant au bénéficiaire.
Quant à l’objet du don manuel
Il est admis de longue date qu’un don manuel assorti d’un pacte adjoint prévoyant une réserve d’usufruit est parfaitement valable, pour autant que l’usufruit réservé ne porte pas sur une chose consomptible tels que des deniers (Cass. civ., 11 août 1880, déjà cité). En effet, dans une cette situation, le donateur resterait en possession des fonds, ce qui s’oppose à la nécessité de la tradition réelle sur laquelle repose tout don manuel.
A l’inverse, a été jugé licite un don manuel d’une somme d’argent avec réserve de nue-propriété, de sorte qu’il s’agissait d’un don manuel d’un quasi-usufruit (Cass. 1re civ., 25 février 1997, n° 94-22.022).
Ici aussi, la solution est logique puisque la tradition réelle est respectée, le donataire étant mis en possession des fonds.
Il est aussi admis en doctrine qu’un don manuel puisse porter sur une quote-part indivise d’un bien(13). Ainsi le don manuel d’une somme d’argent virée sur un compte indivis entre le donateur et le donataire est-il valable, mais il n’y a pas de don manuel en cas de virement sur un compte joint entre le donateur et le donataire (Cass. 1re civ., 16 avril 1991, n° 90-10.561). Le pacte adjoint permet alors de clarifier les droits indivis réellement donnés.
Quant aux parties au don manuel
Le pacte adjoint permet de stipuler les modalités du don manuel affectant les parties à ce contrat.
S’agissant du donateur, le pacte adjoint permet de préciser, lorsque les biens donnés sont communs, si les époux se portent codonateurs ou si l’un seul d’entre eux se porte donateur avec le consentement de son conjoint (art. 1422 C. civ.)(14).
S’agissant du donataire, le pacte adjoint peut stipuler l’existence d’une charge, telle qu’une clause d’inaliénabilité du bien donné, une charge graduelle ou résiduelle(15). Néanmoins, s’agissant de la charge graduelle, l’on voit difficilement comment le premier gratifié pourrait accepter qu’elle grève sa réserve dans le pacte adjoint. En effet, la loi impose que cette acceptation ait lieu dans l’acte donation lui-même ou postérieurement dans un acte prenant la forme d’une renonciation anticipée à l’action en réduction (art. 1054, al. 2, C. civ.).
En matière de transmission d’entreprise, et plus spécifiquement d’actions de société, le pacte adjoint pourra inclure les obligations mises à la charge du donataire en matière de pacte Dutreil (art. 787 B CGI)(16). Il s’agira notamment de la poursuite de l’engagement collectif de conservation, de la prise de l’engagement individuel de conservation, et de l’exercice d’une fonction de direction. Notons néanmoins que lorsque la transmission s’accompagne d’une réserve d’usufruit par le donateur, la doctrine administrative énonce qu’elle doit « nécessairement faire l’objet d’un écrit » (BOI-ENR-DMTG-10-20-40-10, 6 avril 2021, § 310). Il s’agit donc d’un acte authentique ou d’un pacte adjoint.
Le don manuel est présumé, comme toute donation, en avancement de part successorale (art. 843 C. civ.). Toutefois, un pacte adjoint peut parfaitement prévoir une dispense de rapport en ou aménager les modalités en prévoyant par exemple une clause de rapport forfaitaire(17).
Limites du pacte adjoint à un don manuelLimites au pacte adjoint
Les principales limites au don manuel assorti d’un pacte adjoint tiennent plus à la nature réelle du don manuel qu’à son formalisme.
L’impossible réserve de quasi-usufruit
La question de la validité du don manuel d’une somme d’argent assorti d’une réserve de quasi-usufruit prévue dans un pacte adjoint est discutée. Certains considèrent, à juste titre selon nous, qu’un tel don manuel n’est pas conforme à l’exigence de la tradition réelle(18), alors que d’autres admettent la validité de l’opération(19). Dans le doute, le recours à l’acte authentique s’impose.
L’impossible stipulation d’usufruit successif
Par ailleurs, la stipulation d’un usufruit successif constitutif d’une donation à terme de biens présents ne saurait prendre place dans un pacte adjoint(20). En effet, il ne saurait y avoir de tradition réelle en présence d’une donation à terme de biens présents. En conséquence, l’acte authentique s’impose également.
La donation-partage par dons manuels déconseillée
Plus épineuse est la question de la validité d’une donation-partage par dons manuels. Certains auteurs considèrent qu’une donation-partage peut être consentie par don manuel, auquel cas le pacte adjoint s’imposerait pour constater la volonté des parties(21). D’autres auteurs admettent, au contraire, qu’une donation-partage ne peut qu’être authentique(22).
Il semblerait que la Cour de cassation impose l’acte authentique. C’est du moins ce qui résulte d’une décision où elle a refusé de requalifier des donations indirectes en une donation-partage. Pour la Haute juridiction, « la donation-partage qui réalise la volonté répartitrice de toutes les parties ne peut résulter, sous réserve de l’alinéa 2 de l’article 1076 du Code civil, que d’un acte authentique prenant en compte la totalité des biens donnés » (Cass. 1re civ., 6 février 2007, n° 04-20.029).
Pour autant, les tenants de chaque thèse conviennent du fait que l’acte authentique est préférable, eu égard au devoir de conseil du notaire, mais aussi et surtout au regard des problèmes de qualification en donation-partage d’une collection de dons manuels(23).
Supériorité de la donation-partage sur une pluralité de dons manuels
L’on sait qu’il est toujours préférable en pratique de conseiller le recours à une donation-partage de sommes d’argent qu’à une pluralité de dons manuels pour au moins deux raisons :
- d’une part, la donation-partage voit, sauf volonté contraire du disposant, les valeurs des biens donnés figées au jour de l’acte pour la réunion fictive à la masse de calcul laquelle sert à déterminer la réserve héréditaire et la quotité disponible. Pour ce faire, la donation-partage ne doit pas comprendre de réserve d’usufruit sur une somme d’argent et chaque héritier réservataire vivant ou représenté doit avoir reçu et accepté un lot (art. 1078 C. civ.)(24) ;
- d’autre part, la donation-partage n’est jamais rapportable lors du partage de la succession du disposant (Cass. 1re civ., 4 juillet 2018, n° 16-15.915).
En revanche, les dons manuels font l’objet de la réunion fictive et du rapport pour leur montant nominal, sauf s’ils ont servi à l’acquisition d’un bien auquel cas la réunion fictive et le rapport sont dus pour la valeur du bien acquis (art. 922 et 860-1 C. civ.). Par conséquent, cela peut emporter des conflits entre héritiers au décès du donateur.
Enfin, l’incorporation d’une donation antérieure, parce qu’elle implique le consentement du donataire, ne pourrait avoir lieu dans une donation-partage consentie par don manuel(25). Or le recours à l’incorporation des donations antérieures est fréquent et constitue un véritable outil de paix familiale.
Sur le plan du droit fiscal, il est permis de penser que la donation-partage réalisée par dons manuels et pacte adjoint ne rendrait pas exigible le droit de partage. Une décision ancienne s’est prononcée en ce sens (T. civ. Lille, 30 octobre 1997, Ind. enr. n° 17043). Il est, en revanche, évident que la donation-partage, comme les dons manuels, font l’objet de la même taxation aux droits de donations, les parties pouvant invoquer dans les deux cas le bénéfice du régime relatif au don familial de sommes d’argent prévu à l’article 790 G du CGI.
1. N. Peterka, JCl. Code civil, v° art. 931, Fasc. 30 : Donations et testaments – donations entre vifs – forme – don manuel, 2021, n° 1.
2. B. Vareille (dir.), Mémento Pratique Successions Libéralités, éditions Francis Lefebvre 2021, n° 12600.
3. N. Peterka, JCl. Code civil, v° art. 931, Fasc. 30, déjà cité, n° 30 et s.
4. Cass. 1re civ., 13 janv. 2016, n° 14-28.297, Dr. famille 2016, comm. 61, note M. Nicod.
5. B. Vareille (dir.), Mémento Pratique Successions Libéralités, déjà cité, n° 12770.
6. N. Peterka, JCl. Code civil, v° art. 931, Fasc. 30, déjà cité, n° 52.
7. N. Peterka, JCl. Code civil, v° art. 931, Fasc. 30, déjà cité, n° 50.
8. N. Peterka, JCl. Code civil, v° art. 931, Fasc. 30, déjà cité, n° 58.
9. N. Peterka, JCl. Code civil, v° art. 931, Fasc. 30, déjà cité, n° 61.
10. N. Peterka, JCl. Code civil, v° art. 931, Fasc. 30, déjà cité, n° 67.
11. J.-Fr. Desbuquois et Cl. Brenner, « L’adaptation du don manuel aux objectifs poursuivis : le pacte adjoint », Actes pratiques et stratégie patrimoniale 2012, n° 4, étude 35, n° 13.
12. J.-Fr. Desbuquois et Cl. Brenner, « L’adaptation du don manuel aux objectifs poursuivis : le pacte adjoint », déjà cité, n° 15.
13. N. Peterka, JCl. Code civil, v° art. 931, Fasc. 30, déjà cité, n° 73.
14. J.-Fr. Desbuquois et Cl. Brenner, « L’adaptation du don manuel aux objectifs poursuivis : le pacte adjoint », déjà cité, spéc. n° 20.
15. N. Peterka, JCl. Code civil, v° art. 931, Fasc. 30, déjà cité, n° 79.
16. S. Lerond, « Le don manuel et la transmission d’entreprise », Actes pratiques et stratégie patrimoniale 2012, n° 4, étude 36.
17. J.-Fr. Desbuquois et Cl. Brenner, « L’adaptation du don manuel aux objectifs poursuivis : le pacte adjoint », déjà cité, spéc. n° 25 et s.
18. N. Peterka, JCl. Code civil, v° art. 931, Fasc. 30, déjà cité, n° 72.
19. J.-Fr. Desbuquois et Cl. Brenner, « L’adaptation du don manuel aux objectifs poursuivis : le pacte adjoint », déjà cité, n° 24.
20. G. Bonnet, « Réflexions notariales sur la pratique des dons manuels », JCP N 2018, 450.
21. M. Grimaldi, JCl. Code civil, v° art. 1075 à 1080, Fasc. 30 : libéralités-partages – Conditions : parties, objet et forme, spéc. n° 67.
22. Fr. Terré, Y. Lequette et S. Gaudemet, Droit des successions et des libéralités, 4e éd. Dalloz 2013, n° 1256.
23. B. Vareille (dir.), Mémento Pratique Successions Libéralités, déjà cité, n° 10250.
24. B. Vareille (dir.), Mémento Pratique Successions Libéralités, déjà cité, n° 10990 et s.
25. G. Bonnet, « Réflexions notariales sur la pratique des dons manuels », déjà cité.