Frédéric Puzin est aussi sponsor. Au dernier Vendée Globe, il a misé sur le skipper Nicolas Troussel avec le monocoque, Imoca Corum L’Epargne. En attendant, en novembre, la 15e édition de la Transat Jacques Vabre, toujours avec le même monocoque skippé par Nicolas Troussel et Sébastien Josse.
Président-fondateur de Corum, Frédéric Puzin puise dans son parcours riche et atypique le sel qui fait de son groupe un acteur singulier du marché. Les clés de sa réussite : savoir s’adapter, innover, tenir son cap et motiver ses équipes comme l’équipage d’un bateau…
Il y a dans ses propos un vivifiant mélange d’ambition et d’humilité, une assurance tranquille mâtinée d’humour. Le ton est cordial, l’homme accessible… « J’ai eu la chance d’avoir un parcours très riche », confie immédiatement Frédéric Puzin en évoquant sa carrière. Avant de poursuivre : « Je ne suis pas un homme de la finance de marché. Ce qui aurait pu être un désavantage a représenté une grande chance pour Corum et pour moi. »
Le teasing est lancé ! Les oreilles sont ouvertes, la curiosité affûtée pour écouter cet électron libre de la gestion d’actifs raconter son ascension. Car c’est bien une success story qui s’écrit ici. Mais peut-être préfèrerait-il, lui, parler de route. Comme celle que tracent les voiliers qu’il barre, sur tous les océans. Une passion personnelle, exigeante, qui forge un état d’esprit. « Dans une course en mer, il n’est pas pensable de maîtriser tous les paramètres, témoigne Frédéric Puzin. Mais chacun s’engage à investir le maximum d’énergie et d’intelligence, à faire du mieux qu’il peut, avec ses moyens et ses convictions, pour réussir le plus vite possible. On a un objectif et on fait tout pour l’atteindre. C’est très stimulant ! » Une ligne de conduite qu’il suit même hors de l’eau.
Loin des mers, c’est en Bourgogne que grandit Frédéric Puzin. Plutôt qu’une traditionnelle école de commerce, il entame une formation universitaire et décroche une maîtrise d’économie, ainsi qu’un DESS de finance d’entreprise. « La première année d’économie reste celle qui m’est la plus utile au quotidien : j’y ai appris tous les fondamentaux qui régissent nos métiers et qui sous-tendent aujourd’hui la gestion de Corum. Ensuite, j’ai mal tourné : j’ai opté pour l’expertise-comptable… », plaisante-t-il. Il entre, en 1992, comme auditeur financier chez Mazars, à Lyon, où il passe quatre années très formatrices.
Il s’y frotte tôt au commissariat au compte, pourtant rare à l’époque. « J’ai eu la chance de vivre un début de carrière assez sympathique, avec rapidement une première “mission spéciale” comme étaient alors surnommées les opérations de due diligence, et de me confronter ainsi aux fusions-acquisitions », se souvient-il.
Le début d’une carrière toute tracée ? Certainement pas ! Son diplôme d’expert-comptable en poche, le jeune homme saisit une opportunité professionnelle : il part dans l’industrie (au sein du groupe Simpa) assister le président d’un groupe. Il y découvre la réalité d’une entreprise, ce qui se cache derrière les chiffres : savoir gérer les stocks, compter les boulons, parler aussi bien avec l’ingénieur polytechnicien qu’avec l’ouvrier spécialisé, affronter les plans sociaux… Une expérience qui le mène à l’international et qui s’inscrit comme un accélérateur de son parcours. « A travers les succès comme les échecs, elle m’a éclairé sur la manière d’accompagner la réussite d’une entreprise », reconnaît-il. Au départ du président, il prend la tête de la structure.
Mais après trois années dans l’industrie, le démon de la finance le reprend. Retour dans les fusacs en 2000, cette fois chez Deloitte. S’il admire le courage dont fait preuve le célèbre cabinet d’audit en pratiquant ce recrutement « exotique » (parmi d’autres, puisqu’il y côtoie notamment un géologue !), il est rapidement déçu. Les missions importantes qu’il réalise (comme Montedison…) ne suffisent pas à compenser le sentiment de frustration : « Nous étions évidemment notés, comme dans tous les grands cabinets ; j’avais l’impression d’être à l’école et trouvais ce procédé dérisoire à mon stade. J’étais aussi lassé de rendre des rapports sans être dans le concret… »
L’un de ses clients lui propose alors le poste de directeur financier dans la société qu’il audite, Atisreal (qui deviendra BNP Paribas Real Estate), un groupe d’expertise et services immobiliers détenant plusieurs grosses participations en Europe. A 34 ans, il découvre d’un œil mi-amusé, mi-ébahi, un monde à part, où l’argent semble couler à flots… « Venant de l’industrie, l’immobilier m’est apparu comme un univers un peu décalé, coupé du reste du monde. Mais j’y ai trouvé beaucoup d’idées intéressantes. Notamment plein de comportements différents, entre bailleurs, usagers, investisseurs… », se souvient Frédéric Puzin. Mais la vente d’Atisreal à la BNP porte un coup dur aux ambitions qu’il nourrissait dans la structure.
Il revient à l’industrie et réintègre Simpa, un projet sous LBO. Passé ainsi de l’autre côté de la barrière, il mesure la contrainte que représente la vision à très court terme des fonds d’investissement, alors que l’entreprise fonctionne, elle, à horizon cinq ans : s’il fait des stocks pour les futurs profits de Simpa, il met en péril le BFR des investisseurs… Ce décalage entre le cycle de l’industrie et celui de la sphère financière le frappe fortement. Le jeune patron envie les groupes familiaux qui avancent les mains libres. Les paroles d’un homme d’affaires asiatique croisé un jour dans un aéroport le marquent profondément : « Quand j’investis, je raisonne d’abord pour mes petits-enfants ». Frédéric Puzin en fera son leitmotiv : « Pour construire il faut du temps », assène-t-il.
Il quitte le LBO en 2007, juste avant la crise des subprimes et revient chez Atisreal, où les actionnaires lui proposent de donner sa vision des SCPI qu’ils gèrent au sein de la filiale Uffi REAM. Un domaine qu’il ne connaît pas et où il entre un peu à reculons. Mais le rapport qu’il rédige séduit, et il est invité à prendre la présidence de l’entité afin de mettre en œuvre ses préconisations. A l’époque, les SCPI sont considérées comme de l’immobilier de bon père de famille, portées par des cycles longs et vertueux, où la création de valeur repose sur le loyer payé par le locataire. Un état d’esprit dans lequel Frédéric Puzin se reconnaît parfaitement ! En pleine crise des subprimes, ces fonds de pur cash-flow lui apparaissent comme une carte à jouer.
Il amène les techniques de gestion financière qu’il a expérimentées dans l’industrie, met en place des financements de court terme pour anticiper la collecte, travaille l’aspect fiscal… Sans gestion de stock ni de personnel, tout lui semble ici plus simple que dans l’industrie et propice à l’innovation. Les encours doublent en quelques années. Mais en 2010, un désaccord de fond avec les actionnaires d’Uffi l’amène à tenter de racheter la structure. En vain. Il rencontre à cette occasion Walter Butler, acteur reconnu du « retournement » en France. Si chacun a sa propre vision des choses, les deux hommes parlent le même langage et décident de s’associer.
L’homme de terrain – Frédéric Puzin – propose à l’homme de l’institutionnel – Walter Butler – d’être minoritaire de la société de gestion qu’il entend créer, une entreprise qui aurait son propre mode de fonctionnement. Corum Asset Management naît en 2011. Objectif : structurer des fonds pour les institutionnels. Un premier OPCI est lancé et lève 180 millions d’euros auprès d’une mutuelle qui laisse à la société de gestion une totale autonomie, y compris sur les investissements. Mais le miracle ne se reproduit pas deux fois et les appels d’offres restent difficiles à gagner.
Frédéric Puzin décide alors de créer ses propres SCPI. Il met en application tout ce qu’il a appris jusque-là. Son credo ? Ne pas chercher à vendre une histoire, et axer la stratégie sur l’immobilier de commerce. « Un fonds dédié à une thématique prend le risque d’un retournement. Or les SCPI fonctionnent sur du long terme. Mais il est compliqué, néanmoins, de lancer une SCPI sans raconter une histoire », admet-il. Et parce que l’immobilier devient rare et cher, il brise les frontières et cherche des actifs dans d’autres pays d’Europe. La SCPI Corum Origin est ainsi la première à investir en Espagne dès 2012, un marché que beaucoup considèrent sinistré, mais que Frédéric Puzin estime sorti de sa crise : « L’Espagne avait fait énormément d’efforts et son économie me paraissait à nouveau saine. Les prix étaient incroyables et permettaient des achats dans de bonnes conditions », se souvient-il.
En Allemagne, il acquiert des actifs loués et garantis par de grands groupes allemands, qu’il revend trois ans plus tard avec une belle plus-value. Il fait aussi de beaux coups aux Pays-Bas.
Innover fait partie de l’identité de Corum. Frédéric Puzin met l’accent sur les services clients, par exemple en servant un dividende mensuel, en proposant le réinvestissement des dividendes, le plan d’épargne immobilier ou encore en décimalisant les parts. « Innover, c’est avoir des idées farfelues, lance le président de Corum. Dans mon univers, il est farfelu de proposer un dividende mensuel. Mais ma grand-mère aurait trouvé cela logique ! Or je me mets toujours à la place des clients. En investissant en SCPI, ils cherchent d’abord un complément de salaire. D’où l’intérêt de leur verser des revenus chaque mois. C’était soi-disant impossible, mais nous y sommes parvenus. Idem pour la décimalisation des parts. Nous avons souvent innové en partant d’une idée très concrète pour nos clients et partenaires, et en essayant de voir comment elle pouvait se traduire dans le métier. »
En interne, la société est une vraie pile à combustible. « J’ai créé Corum avec un fort ADN, explique Frédéric Puzin. Je voulais offrir à mes collaborateurs ce que j’aurais aimé pour moi. Je les ai donc immédiatement associés. » La motivation des équipes en est d’autant plus puissante. Or il en faut de l’énergie et de l’implication pour convaincre les CGP la première année ! En 2012, la collecte atteint 15 millions d’euros. Puis, c’est l’explosion. L’année suivante, elle caracole déjà à 120 millions d’euros.
Et rapidement, le terrain de jeu devient trop petit pour maintenir les objectifs : en l’occurrence, être rentable sur le long terme. Dès 2016, le problème est prégnant : même à l’échelle de l’Europe, il devient compliqué de trouver des actifs capables d’engendrer 6 % de rendement sans prendre trop de risque. La SCPI Corum Origin est contrainte de limiter sa collecte, et donc son développement. Un choix fort.
Le Brexit offre alors une chance, un momentum favorable. Le marché immobilier s’effondre, la livre s’écroule : c’est le meilleur moment pour acheter. Mais Frédéric Puzin souhaite le faire par le biais d’une nouvelle SCPI : lancée en 2017, Corum XL déploie sa stratégie dans la zone euro et au-delà. Elle est la première à investir outre-Atlantique. Aujourd’hui, le fonds totalise plus d’un milliard d’euros d’épargne. « Corum XL est de très loin la SCPI qui a le mieux traversé la crise », se réjouit le président.
Tous ces succès restent la concrétisation de beaucoup de travail ; la société n’externalise aucune activité, ne délègue la gestion à aucun intermédiaire, tenant à maîtriser toute la chaîne de valeur. Elle porte une attention particulièrement pointilleuse à la qualité des locataires. « Je me souviens du trait d’humour d’un banquier allemand en 2003, relate, amusé, Frédéric Puzin. Il demandait : “Savez-vous quel est le plus bel immeuble du monde ?
Versailles ; mais on a coupé la tête du locataire… !” Sans locataire, un immeuble ne vaut rien. La relation avec lui est primordiale. Chez Corum, nous parlons vingt-et-une langues, avec des collaborateurs de quatorze nationalités différentes pour pouvoir communiquer avec tous les locataires. Acheter à un prix intéressant et revendre à un prix élevé compte aussi, mais ce n’est pas l’essentiel. Le flux de valeur principal vient du locataire. »
Les plus de cent cinquante collaborateurs viennent de tous horizons, y compris par leur parcours et leur formation. La société recrute aussi bien des ingénieurs que des spécialistes de la gestion d’actifs : 97 % sont de formation supérieure, dont 25 % de grandes écoles. Une équipe jeune – la moyenne d’âge est de trente-trois ans – multiforme, que Frédéric Puzin manage comme un équipage. « La mer met tout le monde au même niveau, explique-t-il. Le barreur n’a pas plus de rôle que l’équipier à l’avant. Ce qui compte, c’est que chacun remplisse sa mission, au bon moment. Une course permet aussi de toucher ses propres limites en termes de management, de gestion de crise. En cas de tempête, il faut savoir se maîtriser, prendre les bonnes décisions, et les faire comprendre à tous. »
Parce que Corum est la suite logique de tout ce qu’il a vécu et appris, Frédéric Puzin y cultive ses propres valeurs. Comme l’envie de transmettre aux équipes sa vision du travail, où trônent motivation et satisfaction, et de faire en sorte que chacun ait son propre projet dans l’entreprise. « Pour s’épanouir et performer, il faut de la motivation, se sentir utile et être rémunéré à sa juste valeur, déclare-t-il. Le monde du travail est un monde fait d’équilibres. C’est vrai pour les équipes comme pour les investissements. Les convictions ne sont pas faites pour être inscrites dans le marbre. Il faut savoir s’adapter. Actuellement, l’Espagne est en peine, le Brexit interroge aussi. Nous devons être capables de réagir, en permanence. »
En 2020, Corum se dote de sa propre compagnie d’assurance et de son propre contrat d’assurance-vie : Corum Life. Pour Frédéric Puzin, c’est une fierté qui s’inscrit dans la continuité de l’histoire du groupe. « Nous voulions permettre à nos clients d’investir dans toute la gamme Corum L’Epargne via un contrat d’assurance-vie, mais en conservant notre indépendance. Les souscripteurs de Corum Life ont donc accès en exclusivité à toutes nos SCPI et tous nos fonds obligataires, une offre claire composée uniquement de fonds gérés en interne. Et peu importe que notre gamme soit peu étendue : un bon contrat est un contrat rentable, pas un contrat proposant deux cents sous-jacents… »
Cette indépendance, Frédéric Puzin la revendique haut et fort. « Nous ne sommes pas revendus tous les quatre matins, plaide-t-il. Cela contribue à asseoir la confiance. Nous sommes aussi capables d’entendre les critiques et n’avons pas l’ambition de convaincre tout le monde au même moment. Notre franchise a d’ailleurs pu choquer certains CGP dans leurs certitudes. Mais les faits, les succès ont parlé pour nous, et notre posture a convaincu, en particulier les CGP, avec lesquels nous partageons un intérêt : celui de vendre de la confiance au travers de beaux produits. »
Aujourd’hui, les demandes affluent spontanément de la part des CGP. La magie du digital… Avec ses mille cinq cents fidèles partenaires, Corum n’a plus grand monde à convaincre sur l’immobilier. Reste à faire vivre Corum Life, dont la collecte ne cesse de grandir chaque mois, mais aussi la gestion obligataire que la société opère depuis l’origine.
Les échecs ? Frédéric Puzin connaît. Avec Corum par exemple, qui devait initialement adresser les institutionnels et n’y est jamais parvenu. Erreur de langage, erreur sur la personne. « Je n’étais pas le bon interlocuteur pour cette stratégie-là, admet-il. Mais les échecs sont aussi d’excellentes opportunités pour se reposer les bonnes questions, comprendre ce qui n’a pas fonctionné… Et avancer ! »
Continuer de tracer sa route, quitte à naviguer s’il le faut à contre-courant. « La confiance se bâtit. Je ne crois pas du tout au marketing de l’offre. Suivre des tendances soi-disant porteuses, c’est prendre le risque de collectes trop abondantes et difficiles à investir sans dégrader la rentabilité. Nous préférons offrir, sur le long terme, une finance raisonnable à nos clients. C’est cette authenticité qui a forgé la réussite de Corum et c’est le cap que nous souhaitons tenir. »
Un cap, dites-vous ? Voici le patron-skipper déjà reparti dans la course, les voiles gonflées d’idées, en route vers de prochains succès…