Brandywine Global cherche à déterminer si la solidité du dollar américain peut perdurer et dans quelle mesure cette perspective pourrait avoir un impact sur les autres monnaies.
Le dollar américain augmente depuis longtemps, soutenu par l'envolée de la croissance. Anujeet Sareen, gestionnaire de portefeuille chez Brandywine Global, et Katie Klingensmith, spécialiste en investissement, discutent des facteurs qui ont contribué à la hausse du dollar et de leur capacité à le soutenir à court et à long terme. Vous trouverez ci-dessous un résumé de leur conversation.
Le marché haussier du dollar a débuté en 2011 et a progressé comme tous les marchés haussiers du billet vert à la faveur d'une croissance économique supérieure à la moyenne. La surperformance de la croissance du secteur privé entraîne généralement l'appréciation du dollar américain, car c'est aussi ce qui alimente les flux de capitaux. En outre, la hausse du dollar tend à s'accompagner d'une augmentation des taux d'intérêt aux États-Unis. Le leadership technologique et l'énergie, y compris l'essor du gaz et du pétrole de schiste et l'indépendance énergétique des États-Unis qui en découle, ont également fortement soutenu la vigueur actuelle du dollar.
Dans le même temps, le reste du monde enregistrait généralement une croissance plus faible. Durant la majeure partie des années 2010, l'économie européenne a été en perte de vitesse. La Chine a également vu sa trajectoire de croissance s'infléchir, ce qui a eu des conséquences sur les prix des matières premières et sur d'autres marchés émergents. Le contraste avec les États-Unis a été très marqué. Toutefois, contrairement aux années 1990 durant lesquelles la croissance américaine a été exceptionnelle pendant une période assez longue, à la fois en termes relatifs et en termes absolus, la croissance durant l'actuel marché haussier du dollar a été plus modérée. C'est plutôt ce différentiel par rapport au reste du monde qui a fait grimper le dollar.
En outre, le marché haussier actuel du dollar présente une différence. La progression du dollar en 2011 et 2019, en particulier, était alimentée par un réel dynamisme du secteur privé aux États-Unis. Cette tendance s'est accompagnée d'une extraordinaire performance des actions américaines et d'une forte augmentation du patrimoine net des ménages. Or la progression du dollar après la crise du COVID n'est pas du tout de la même qualité que celle observée à cette époque. Cette fois-ci, l'économie américaine a surperformé en grande partie grâce à l'énorme soutien de la politique budgétaire. Certains éléments rappellent le dollar du début des années 1980, lorsque la dynamique était le fruit d'une politique budgétaire souple et d'une politique monétaire restrictive. Les baisses d'impôts consenties par Reagan ont ouvert la voie à un nouveau resserrement de la politique monétaire menée par le président de la Réserve fédérale (Fed), Paul Volcker, et c'est cette double combinaison qui a fait grimper le dollar.
La réponse apportée par la politique budgétaire américaine à la crise du COVID a été remarquable et certainement plus forte que dans la plupart des autres régions du monde. Et de ce fait, la Fed a dû réagir de manière plus agressive. Lorsque l'on étudie la progression du dollar, un point frappant est le patrimoine net des ménages. Entre 2013 et 2019, le patrimoine net des ménages s'est considérablement accru. Dans le même temps, les niveaux d'endettement des gouvernements ont légèrement augmenté, ce qui laisse supposer une importante création de richesse dans le secteur privé. Au cours de ces trois dernières années, le patrimoine net exprimé en pourcentage du produit intérieur brut (PIB) des États-Unis a augmenté légèrement, mais dans les mêmes proportions que la taille du bilan budgétaire. En d'autres termes, l'augmentation du patrimoine net a été à peu près égale à celle de la dette publique. Il y a eu un important transfert de richesse du gouvernement vers le secteur privé, ce qui n'est pas véritablement de la croissance, ou du moins pas de la croissance durable. Cette évolution récente constitue un aspect très différent de la progression constante du dollar.
Les avancées technologiques, telles que l'intelligence artificielle (IA), pourraient-elles continuer à accroître la productivité et l'investissement, prolongeant ainsi le caractère exceptionnel de la croissance américaine ?Nous estimons que la progression récente du dollar résulte davantage de cette évolution budgétaire que d'une véritable évolution du secteur privé ou de la technologie. Toutefois, cette vision du dollar ne signifie pas que les États-Unis sont, d'une manière ou d'une autre, nettement moins exceptionnels qu'ils ne l'ont été. Nous affirmons simplement que le dollar dispose d'une marge de manœuvre pour renouer avec ses niveaux de 2019, ce qui demeure compatible avec la vigueur de l'économie américaine et la surperformance de la croissance.
Un mur budgétaire ou une réduction réelle des dépenses budgétaires pourraient-ils effacer une partie de la progression du dollar ?La plupart des grandes politiques budgétaires mises en œuvre par les États-Unis au cours des dernières décennies étaient contracycliques. Par exemple, le gouvernement augmente les dépenses ou réduit les impôts lorsque l'économie est faible, ce qui est justifié. Depuis les baisses d'impôts de 2018, on observe une tendance à recourir à la politique budgétaire même lorsque l'économie est solide, ce qui risque de compliquer la tâche de la Fed. Presque toutes les régions du monde ont enregistré un ralentissement en 2023, à l'exception des États-Unis. La principale différence, cependant, est que le déficit du gouvernement américain s'est considérablement creusé.
À terme, un mur budgétaire ne sera peut-être pas nécessaire, mais le rythme d'expansion de la politique budgétaire devra ralentir. Il semble que la politique budgétaire a atteint un point d'inflexion et qu'elle n'offrira probablement pas le même soutien cette année. En outre, la Fed n'a pas encore abaissé ses taux d'intérêt. Par conséquent, il est légitime de craindre un ralentissement de l'économie américaine par rapport à l'année dernière, à mesure que le soutien budgétaire s'estompera.
Dans quelle mesure les changements de politique de la Fed et les écarts de taux peuvent-ils avoir un impact sur le dollar ?En définitive, la politique monétaire et les cycles monétaires évoluent en fonction de la surperformance relative des marchés du travail. Lorsque les marchés du travail sont solides, les banques centrales s'inquiètent davantage de la croissance des salaires, et donc de l'inflation. Ce qui caractérise ces trois dernières années, contrairement aux sept années précédentes marquées par la hausse du dollar, c'est que l'emploi américain a surpassé les attentes. Dans le même temps, le chômage augmentait en Europe. Mais ce n'est plus le cas aujourd'hui. Le taux de chômage en Europe n'a jamais été aussi bas. Le fossé qui sépare le marché du travail américain de celui des autres pays est loin d'être aussi extrême qu'il ne l'était par le passé, et cet environnement est compatible avec une réduction de l'écart entre les taux d'intérêt aux États-Unis et dans le reste du monde. L'ampleur de la baisse des taux par la Fed dépendra de plusieurs facteurs. Toutefois, l'écart de rendement – l'excédent de rendement des taux d'intérêt américains à court terme – devrait se resserrer par rapport au reste du monde dans le courant de l'année, ce qui devrait pénaliser le dollar.
D'autres facteurs liés aux élections américaines peuvent-ils avoir une influence sur l'évolution du dollar ?On peut citer notamment la présidence de Donald Trump, qui risquerait de renforcer le protectionnisme. Toutes choses égales par ailleurs, l'augmentation des droits de douane américains aurait tendance à déprimer les autres monnaies qui s'adapteraient à la cherté relative de leurs exportations vers les États-Unis. Toutefois, Donald Trump s'est également plaint de la vigueur du dollar, car il souhaite mener une politique favorable à la compétitivité de l'économie américaine. Or la simple augmentation des droits de douane associée à un dollar fort ne permet pas d'atteindre cet objectif. Comment obtenir un dollar plus faible est une autre question. L'une des solutions possibles est de passer par la Réserve fédérale et de remplacer Jay Powell en 2026. D'autres risques sont liés à la question de savoir si les autorités trouveront encore des fonds à dépenser, prolongeant ainsi la dynamique de la politique budgétaire expansionniste et de la politique monétaire restrictive qui a soutenu le dollar. Malheureusement, aucun appel significatif n'a été lancé de part et d'autre de la ligne de front pour que la question de la dette fédérale soit prise plus au sérieux en termes structurels. Bien que ce problème soit préoccupant, il est peu probable qu'un soutien budgétaire substantiel soit apporté. Cependant, pour réduire le niveau de la dette américaine, il faudrait réduire les dépenses publiques ou augmenter les impôts. Ces deux solutions auraient un effet négatif sur le dollar, mais il est également peu probable que des changements majeurs interviennent dans ce domaine.
Comment les risques géopolitiques ou autres peuvent-ils avoir une incidence sur la théorie du « Dollar Smile » (sourire du dollar) ?La théorie du sourire du dollar fait référence à l'idée que le dollar se porte bien dans les situations extrêmes. Lorsque l'économie est trop florissante, la Fed doit faire preuve d'une plus grande fermeté en matière de politique monétaire et, en règle générale, cet environnement moins risqué tend à favoriser le dollar. Par ailleurs, un atterrissage brutal entraînant des difficultés pour les actifs à risque a également tendance à générer des flux vers le dollar en tant que valeur refuge. C'est entre les deux que le dollar a le plus de mal à s'imposer, c'est-à-dire lorsque la croissance mondiale est modérée et qu'il y a moins de raisons de détenir des dollars pour se protéger. On peut affirmer que c'est ce qui s'est passé au cours de ces 18 derniers mois. Le dollar a baissé au cours de cette période, bien que la croissance américaine ait surpassé la croissance mondiale, notamment l'année dernière. Pourquoi ? D'autres pays affichent désormais une croissance ou des taux d'intérêt corrects, ce qui pousse le billet vert vers le milieu de la courbe du dollar et se traduit par des performances relatives plus contrastées par rapport aux autres monnaies.
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