Ces dernières semaines, les médias internationaux et les investisseurs se sont fait l’écho d’un même phénomène : la prime de risque des actions américaines a fortement diminué et serait même devenue nulle voire négative. Mais qu’entend-on par « prime de risque actions » ? Et est-ce inquiétant de la voir baisser ?
Florent Wabont, Economiste
Le concept de « prime de risque actions » représente le rendement supplémentaire au-delà du taux sans risque (symbolisé par le taux d’intérêt à court terme), censé rémunérer le risque associé à un investissement en actions (faillites, chute des bénéfices, creux conjoncturel…). On peut ainsi aisément calculer la prime de risque réalisée en comparant la performance constatée des actions et celle des marchés obligataires. Historiquement, cette prime est positive, mais elle varie d’une période à l’autre. Aux Etats-Unis, elle a ainsi été proche de 8 % en moyenne de 1927 à 2018, et de ~5 % de 2000 à 2018*.
La prime de risque communément évoquée par les investisseurs n’est toutefois pas la même que celle décrite précédemment. Dans le jargon des marchés financiers, la prime de risque actions est en fait une prime prospective. Elle se mesure habituellement à partir de la différence entre le rendement des bénéfices par actions (earnings yield), calculé comme l’inverse du ratio cours/ bénéfices anticipé par les analystes, et le taux d’intérêt à 10 ans souverain du pays considéré. Ainsi, plus cette variable diminue, plus elle indique que les marchés d’actions sont chers (donc que l’espérance de rendement diminue) par rapport aux marchés obligataires. Inversement, lorsqu’elle augmente. Pour l’anecdote, cette modélisation est appelée « Fed model » et doit a priori sa parenté à un discours d’Alan Greenspan** en 1996, où celui-ci tenait un raisonnement similaire afin d’illustrer le concept désormais célèbre d’« exubérance irrationnelle »***.
Bien que séduisante sur le papier, cette méthode souffre de plusieurs écueils. Premièrement, elle stipule que le rendement futur des actions dépend uniquement des bénéfices attendus à l’instant t. Une hypothèse, on le comprend, plutôt forte. Deuxièmement, les bénéfices attendus utilisés le sont souvent sur un horizon de 12 mois et sont comparés à un taux d’intérêt à 10 ans, ce qui n’est pas sans poser un souci de temporalité. Enfin, en l’utilisant, les investisseurs font preuve d’illusion nominale, puisqu’ils comparent une variable ajustée de l’inflation à une autre qui ne l’est pas. Doit-on dans ce cas cesser de l’employer ? Oui et non, car comme le disait George Box (célèbre statisticien) : « Tous les modèles sont faux, mais certains sont utiles ».
Les indicateurs les plus « simples » sont souvent les plus utilisés et les plus commentés, alors même que ceux-ci manquent parfois de rigueur. Dans les faits, il existe des façons d’obtenir une prime de risque actions réelle (ajustée de l’inflation). Ainsi, nos calculs nous amènent par exemple à obtenir une prime de risque actions proche de 1 % aux Etats-Unis, contre un chiffrage négatif selon la méthode décrite plus haut. Plus que le niveau absolu, c’est davantage la tendance qui importe. La prime de risque implicite offerte par les actions n’a cessé de diminuer ces derniers mois, mais faut-il s’en inquiéter ? Le premier niveau de réponse va probablement s’avérer décevant. La prime de risque des actions, tout comme les niveaux de valorisation (ratio cours bénéfices…), n’a aucun pouvoir explicatif sur la performance des marchés à court terme.
En revanche, c’est sur un horizon de 10 ans et au-delà que cet indicateur est le plus pertinent pour prévoir les rendements futurs.
La baisse de cet indicateur nous renseigne toutefois sur des éléments plus subtils. De prime abord, cela nous montre que la perception du risque sur les marchés est faible, et ce, malgré la multiplication des menaces au sens propre comme au sens figuré. Ensuite, que les marchés d’actions américains sont chers. Ils peuvent encore se renchérir (cf. plus haut), mais ils sont chers et c’est un fait avec lequel il va falloir composer. Les niveaux de valorisation actuels semblent même insensibles à la hausse des taux d’intérêt, tant les perspectives de croissance des bénéfices pour 2025 demeurent élevées. En outre, il semblerait que le marché américain soit aussi devenu le plus plébiscité par les investisseurs internationaux, tout particulièrement depuis l’élection de D. Trump, dans le prolongement du dollar.
Pour conclure, il convient également de noter que même en corrigeant l’effet de concentration de l’indice S&P 500 (où 7 valeurs représentent 30 % de la capitalisation boursière), la prime de risque actions reste relativement faible et suggère a minima une forme de vulnérabilité des actions américaines à toute déception, peu importe sa nature…
Où sont les primes ? Estimation de l'évolution historique de la prime de risque réelle des actions américaines.Sources : Ecofi, Bloomberg, Robert Shiller, Antonio Fatas, Anti Ilmanen - Investing Amid Low Ex-pected Returns: Making the Most When Markets Offer the Least (2022). Evolution de la prime de risque réelle des actions américaines évaluée au travers de différentes méthodologies. La courbe en pointillées met en perspective le dernier point de donnée du graphique.
Les indicateurs les plus « simples » sont souvent les plus utilisés et les plus commentés, alors même que ceux-ci manquent parfois de rigueur.
* Prime de risque et prix du risque sur les actions, Garcia et Meddahi (2019), Revue d’économie financière n°133.
** Président de la Fed de 1987 à 2006.
*** Le terme d’« exubérance irrationnelle » a été utilisé par Alan Greenspan lors d’un discours en 1996 afin de qualifier la « sur valorisation » des marchés d’actions en cette période.
Par Florent Wabont, Economiste chez Ecofi
Source : Ecofi, au 22 novembre 2024.
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