Retour sur les expériences de quatre conseillers en gestion de patrimoine qui, avant de se lancer dans l’entrepreneuriat, ont eu une riche carrière en tant que partenaire-fournisseur.
Après plusieurs années passées à côtoyer des conseils en gestion de patrimoine dans leur quotidien, sur le terrain, quelques « commerciaux » (ou Sales en anglais) de sociétés de gestion de portefeuille, dirigeants de fournisseurs-partenaires de la profession ou inspecteur en assurance ont franchi le pas pour devenir des professionnels du patrimoine.Attirance pour l’entrepreneuriat, volonté de servir des clients finaux, embrasser une profession aux problématiques transversales ou tout simplement changer de vie, telles sont quelques-unes des principales motivations qui les ont conduits à devenir CGP.Certains sont partis de zéro ; d’autres ont saisi l’opportunité de reprendre un cabinet. Malgré quelques périodes de doutes inhérents à la vie d’entrepreneurs, tous restent convaincus d’avoir fait le bon choix ! Voici les parcours de Matthieu Sanlaville, installé près de Caen depuis six ans désormais (Norma Conseils), Vincent Crugeon qui vient de reprendre une clientèle à Paris (France Finance Consulting), Matthieu Herrlich, gérant du cabinet AJC Patrimoine à Strasbourg depuis 2017, et Yves Mazin, CGP à Bordeaux depuis 2004 (Version Patrimoine).
Du Private Equity à la gestion de patrimoineAprès avoir contribué au développement de 123 Investment Managers durant dix années, Mathieu Sanlaville a, en 2017, franchi le pas pour devenir conseiller en gestion de patrimoine, près de Caen en Normandie, sa région d’origine. « Après de belles années de rencontres et de croissance, j’avais besoin de changer de ville, d’activité et de me lancer dans un projet entrepreneurial. La gestion de patrimoine s’est imposée à moi », explique-t-il.
Avec un associé spécialisé dans l’immobilierPour cela, il s’associe à Anthony Bonnard, spécialiste de l’immobilier. Ils fondent Norma Conseils sans un seul client, mais se rendent visibles dès que possible pour provoquer les rencontres : partenariats sportifs, business clubs… « Sur notre marché, tous les acteurs proposent peu ou prou les mêmes solutions d’investissement – de bons contrats d’assurance-vie, des SCPI, du Private Equity, etc. – ; c’est ce lien de confiance qui se tisse au fur et à mesure qui permet de développer une relation avec un client, d’étendre le champ des missions, puis d'entraîner des recommandations. Evidemment, tout n’a pas été simple, mais notre positionnement d’“agence patrimoniale” (gestion de patrimoine et agence immobilière) nous a beaucoup aidés. » Si l’arrivée de nouveaux clients passe aujourd’hui à 80 % par la cooptation, Norma Conseils réalise un peu de publicité sur Internet, de façon locale. « Lorsque je rencontre un prospect, j’insiste sur la dimension réglementaire de mon activité:le parcours client, l’importance de la déontologie de la CNCGP, la connaissance client, la transparence des rémunérations… Faire confiance à un conseiller pour placer son argent n’est pas chose aisée et cela doit être fait avec sérieux. Le client doit comprendre que je suis là avant tout pour répondre à ses besoins. Dans la majorité des cas, il s’agit donc de traiter des sujets de clients actifs et de parents, disposant de revenus confortables, souvent fortement fiscalisés et ayant une résidence principale dont le crédit est bientôt remboursé. Généralement, mon travail porte sur l’épargne à long terme avec un travail de pédagogie sur les différentes classes d’actifs, en jouant sur sa disponibilité ou non et le profil de risque des clients. » Le cabinet compte désormais cent-cinquante familles clientes et s’approche des vingt millions d’euros d’encours. Le développement s’accélérant, son épouse l’a rejoint pour prendre en charge les aspects administratifs et réglementaires. Parallèlement, le cabinet a développé son activité de marchand de biens, avec une première opération débouclée il y a peu. Pour Mathieu Sanlaville, le passage du BtoB au BtoC n’a pas été aisé. « La relation de professionnel à professionnel est très différente de celle en BtoC, mais le fait de donner des cours à l’université m’a aidé. Elle demande moins de pédagogie; alors que pour un particulier, il convient d’être très didactique et de s’assurer que la personne a bien compris ce dans quoi elle investit. » Désormais CGP, il admet qu’il aurait procédé de façon différente en tant que fournisseur : « les approches sont assez standardisées autour des produits, ce qui ressemble un peu à un supermarché. Nos fournisseurs s’intéressent finalement peu à notre quotidien de CGP et de chef d’entreprise. Autre élément : l’aspect administratif/back-office ne doit surtout pas être négligé. Or cela est même assez catastrophique chez certains assureurs ! En tant que conseiller, je suis l’unique responsable vis-à-vis de mes clients. Tout ce travail administratif doit être davantage valorisé chez nos partenaires. »Un projet longuement mûriAprès trente années passées chez différents concepteurs et distributeurs de solutions d’investissement sur le marché de la gestion de patrimoine (en particulier Primonial durant dix ans et Oradéa Vie ces cinq dernières années), Vincent Crugeon s’est décidé à se lancer dans l’entrepreneuriat. « J’ai toujours su que je deviendrai entrepreneur, que ce soit dans la gestion de patrimoine ou dans un autre domaine. Ma décision a pris corps tout au long de mes diverses expériences. Je suis sans doute devenu plus exigeant et certainement moins malléable. Pour œuvrer dans un grand groupe de façon pérenne, il faut savoir gérer les évènements et passer les périodes de transition. J’ai également pu constater que l’humain n’était plus abordé de la même façon et que le rôle de manager perdait en proximité, particulièrement dans des “grosses” structures. Et il ne faut pas oublier qu’après quarante-cinq ans, on ne fait plus partie de l’avenir – Pôle emploi vous classe en “senior” ! Or on doit pouvoir exercer une activité professionnelle pour les vingt années suivantes ! »En relais d’une ancienne collèguePeu à peu, son projet mûrit, et l’attrait de la gestion de patrimoine se confirme. Il souhaite se confronter au monde réel:s’adresser aux clients finaux. Pour se lancer, Vincent Crugeon ne part pas de zéro. En novembre dernier, il fait l’acquisition du cabinet France Finance Consulting auprès de son ancienne collègue chez Primonial, Françoise Proust, et qui envisageait de partir à la retraite. Durant trois ans, ils échangent et formalisent cette éventualité. « J’ai également eu la chance de préparer mon départ d’Oradéa Vie. J’étais très attaché à mon poste, à mon équipe et à l’entreprise », précise Vincent Crugeon. Avec la gérante du cabinet, ils partagent le même ADN : la proximité client, le suivi et l’approche par les besoins. La passation de la centaine de clients se fait dans la douceur : une année de collaboration commune leur permet de présenter le projet à chacun des clients selon leur rythme. « Passer de l’environnement socialisant d’une entreprise à l’entrepreneuriat, seul ou à deux n’est pas évident ; il y a une période transitoire à ne pas négliger », admet Vincent Crugeon qui, avant de donner un nouvel élan au développement du cabinet, se concentre sur la clientèle existante. « Je découvre le plaisir d’accompagner une clientèle très attachante. Répondre à leurs préoccupations exprimées, tout en les sensibilisant à celles non révélées, est passionnant. Passer du temps avec la clientèle est primordial et permet d’établir ce lien de confiance essentiel pour faire oublier la technique patrimoniale. Vient ensuite le temps de la pédagogie nécessaire pour que les clients appréhendent les solutions proposées. » Pour parfaire sa formation, Vincent Crugeon suit des formations professionnelles auprès de la CNCGP, de l’Aurep et vient d’obtenir son « pass » AMF Développement durable, devenu un enjeu majeur pour ses clients.Pour les mois à venir, il ne manque pas d’idées pour élargir son champ d’activité:de la prévoyance du dirigeant d’entreprise à la gestion de trésorerie, en passant par le non-coté.
Rester dans l’Est et entreprendre !Diplômé d’un master en Finance d’entreprise obtenu à Skema Business School, Matthieu Herrlich commence sa carrière chez Skandia, en tant qu’inspecteur durant cinq ans dans l’est de la France où, de Reims à Besançon, il couvre un large territoire. « J’avais découvert cette compagnie alors que, durant mes études, j’avais voyagé en Suède où Skandia était le leader du marché, comme Axa en France. Tout juste diplômé, Hein Donders m’a alors donné ma chance, avec la volonté de “placer” un Alsacien en Alsace pour aller à la conquête de ce marché réputé difficile. » Chez Skandia, au plus fort de la crise des Subprimes-Lehmann Brothers en 2008, il en profite pour passer un master en Gestion de patrimoine à la faculté de Droit de l’université de Strasbourg. Après quelques années, la compagnie décide de se recentrer sur ses plus gros apporteurs d’affaires. La présence terrain est réduite et Matthieu Herrlich est rappelé à Paris. Quelques mois plus tard, Ageas Patrimoine le recrute et il fait son retour dans sa région natale. « J’aurais certainement pu faire une belle carrière à La Défense, mais je ne souhaitais pas faire ma vie à Paris ». Il passera deux ans et demi chez Ageas, avant de rejoindre Generali. «Il s’agissait d’une belle opportunité d’opérer au sein du leader du marché. Chez Skandia et Ageas, en tant que challenger en mode start-up, on observait les leaders, comme Generali, avec un oeil assez critique. Or j’ai pu me rendre compte de la qualité de cette société, son organisation et la collaboration avec des collègues bienveillants à tous les niveaux. Generali invitait à l’intrapreneuriat pour construire sa performance.»Pour autant, dès son entretien de recrutement, il exprime son envie d’entreprendre à Sonia Fendler qui, convaincue par son profil et son ambition, l’embauche tout de même. « J’ai toujours souhaité être mon propre patron et d’être au plus proche des attentes des clients finaux. » Une opportunité de rachatQuelque temps plus tard, en 2017, il saute sur l’occasion de racheter la structure de gestion de patrimoine d’un de ses contacts commerciaux, Jean Roehri qui, parallèlement, cède également son activité d’agence immobilière. « A trente-cinq ans, j’avais l’âge pour. Le cabinet AJC Patrimoine est un cabinet historique, créé en 1997. C’était l’opportunité pour moi de me lancer, tout en ayant une bonne base de clients. » Dès lors, il découvre une nouvelle approche de la matière patrimoniale et surtout la relation BtoC. « Après dix années passées au contact des CGP, je pensais connaître le métier. Or je n’en savais rien ! Il m’a fallu adapter mon discours, couper avec le jargon financier et faire preuve de pédagogie, notamment sur les frais, tout en ayant une approche pleine de dialogue et d’écoute. Lors de la passation de clients, il m’a fallu rassurer, mais aussi proposer une nouvelle promesse pour me démarquer. » Depuis la reprise du cabinet, Matthieu Herrlich a su développer le ticket moyen confié par client et capter de nouveaux prospects venus rajeunir sa clientèle. Son activité repose essentiellement sur l’assurance-vie, l’accompagnement dans la structuration des patrimoines et l’optimisation fiscale de ses clients. A moyen terme, s’il est satisfait de son développement (30 millions d’euros d’encours), il compte faire croître son cabinet pour atteindre les 50 à 100 millions d’euros d’encours, d’ici trois à quatre ans. « Cela va être de plus en plus difficile d’être une petite structure. Je compte passer d’artisan à entrepreneur du patrimoine. Cela passera par des recrutements et/ou l’achat d’un nouveau portefeuille de clients, ce qui permettra d’élargir la palette de services. » Désormais conseiller en gestion de patrimoine, il observe avec amusement son ancienne activité : « Je suis devenu aussi pénible et ferme que mes autres confrères CGP à l’égard des fournisseurs ! Lorsqu’on est commercial CGP, on ne se rend pas ou peu compte de l’ensemble des tâches quotidiennes que doit remplir un CGP. Alors quand on reçoit des appels à répétition de fournisseurs, il est délicat de leur accorder du temps pour écouter toutes les propositions… »Changer de vie !Titulaire d’une licence en Droit et d’une formation en gestion de patrimoine obtenue à l’ESA en 1995, Yves Mazin commence sa carrière à la direction financière de la Hénin Vie qui développe des assurances-vie en marque blanche pour le compte de sociétés de gestion de portefeuille, puis intègre la direction commerciale. « J’ai pu bien appréhender les arcanes de la construction d’une solution d’assurance-vie », note-t-il.Quelques années plus tard, alors que les contrats en architecture ouverte ont fait leur apparition, il « saisit l’opportunité de rejoindre Carmignac Gestion » où, durant un an et demi, il intègre l’équipe commerciale dédiée à la gestion privée, avant d’opérer en BtoB auprès des cabinets de conseil en gestion de patrimoine. « Cela a été m’a première expérience d’approche du client final afin de cerner ses besoins. J’ai connu la belle période jusqu’en 2001-2002 durant laquelle les marchés ont fortement baissé, se souvient-il. J’ai surtout pu découvrir le métier de CGP en me disant que je pourrais également l’exercer. En effet, j’ai pu apprécier la liberté de cette profession et sa capacité à embrasser un large spectre de domaine. L’approche client en éventail m’a également convaincue, à l’inverse de l’approche en entonnoir des banques ou sociétés de gestion. » En 2002, sa carrière professionnelle bascule. Victime d’un accident de la route, il souhaite changer de vie et quitter la région parisienne. Alors qu’il reçoit plusieurs propositions de banques privées locales, il intègre l’équipe de distribution d’Edmond de Rothschild pour devenir Sales sur la région Grand-Ouest, toujours sur le marché des CGP.Après quelques années, il décline la proposition de la société de gestion de le rapatrier à Paris. Son attrait pour la profession de CGP se matérialise, alors qu’il a pu apprécier pendant plusieurs années les différents modèles des cabinets côtoyés au quotidien.
Associé à un ancien footballeur professionnelDurant son parcours, il rencontre l’ancien footballeur professionnel en reconversion, Pierre Laurent, en master en Gestion de patrimoine à l’Impi, alors en stage au sein d’un cabinet bordelais. Tous deux décident de s’associer pour fonder le cabinet Version Patrimoine, en 2004, à Bordeaux, avec une antenne à Tulles d’où est originaire le sportif. « Nos expériences étaient complémentaires. Pierre Laurent a une déontologie forte, née de ses expériences passées de footballeur qui était vu comme un mouton qu’il fallait tondre. L’écrit a donc toujours fait partie de notre quotidien. Mon expérience des produits financiers nous a, quant à elle, permis de bâtir une gamme de solutions à la fois simple et diversifiée autour d’une cinquantaine de fonds. J’ai également puisé de mes différentes expériences une certaine vision du marketing, notamment autour de la marque. » Ils partent de zéro et prospectent dans le dur, sur la base de fichiers achetés sur Internet. Les débuts sont difficiles, avec une succession de crises financières. Puis le cabinet se déploie pour compter aujourd’hui une dizaine de personnes. Si les conseillers sont spécialisés dans certains domaines (fiscalité, immobilier, droit de la famille…), les clients sont suivis par binôme. « Le cabinet et nos domaines d’expertise se sont élargis au fur et à mesure des demandes de nos clients ». Aujourd’hui, le cabinet Version Patrimoine compte 130 millions d’euros d’encours pour quatre-cent-cinquante familles suivies et un million d’euros de chiffre d’affaires. « Notre objectif est de faire croître notre chiffre d’affaires de façon diversifiée sur chacune des lignes du métier de la gestion de patrimoine pour assurer la pérennité du cabinet. Aujourd’hui, je mesure le chemin parcouru avec fierté. Monter un cabinet de CGP est une formidable aventure humaine ! », affirme Yves Mazin.Parallèlement, le dirigeant s’investit pour la défense de la profession. Vice-président de la CNCGP depuis quatre ans, il est également en charge des commissions vie des régions et prévention des risques et contrôle qualité. « Mon engagement à la CNCGP me permet de rencontrer de nombreux autres confrères et de prendre de la hauteur sur notre profession, afin d’agir plutôt que de subir les événements. Aujourd’hui, être un bon technicien de la matière patrimoniale n’est plus suffisant pour être un bon CGP : il faut aussi être un bon entrepreneur et maîtriser d’autres aspects, tels que la communication et le management. » Désormais passé de l’autre côté de la barrière depuis près de vingt ans, il observe, non sans regrets, que si les commerciaux de ses fournisseurs « sont montés en compétence, il manque encore à certains une connaissance de nos problématiques quotidiennes ».